Apoptose, cancer et développement

Objectifs

L’équipe a initialement décrit une notion de biologie cellulaire selon laquelle certains récepteurs transmembranaires ont une double capacité de signalisation en fonction de l’accessibilité du ligand : lorsqu’ils sont liés à leur ligand, ils induisent diverses voies de signalisation « positives », tandis qu’ils induisent un signal actif de mort cellulaire en l’absence de leur ligand. Ces récepteurs ont été nommés récepteurs à dépendance car leur présence à la surface cellulaire conduit la cellule à dépendre pour sa survie de la présence du ligand. L’équipe travaille actuellement sur trois approches : (1) décrypter en profondeur les mécanismes moléculaires de la mort cellulaire induite par les récepteurs à dépendance ; (2) comprendre le rôle de ces paires récepteur/ligand dans la progression et la plasticité des tumeurs ; (3) translater les connaissances de base sur ces paires récepteur/ligand vers des approches thérapeutiques anti-tumorales.

Projets

Notre équipe est initialement connue pour ses travaux sur les récepteurs dits à dépendance : alors que le dogme classique postule que les récepteurs transmembranaires sont inactifs à moins d’être liés par leur ligand spécifique, il a été proposé que certains récepteurs puissent être actifs non seulement en présence de leur ligand, mais aussi en leur absence. Dans ce dernier cas, la signalisation en aval de ces récepteurs non liés conduit à l’apoptose. Ces récepteurs ont donc été nommés « récepteurs à dépendance », car leur expression cellulaire rend la survie de la cellule dépendante de la présence dans l’environnement cellulaire de leur ligand respectif (Mehlen et al., 1998, Nature). À ce jour, Patrick Mehlen et son groupe ont identifié ou ont participé à l’identification de la plupart des récepteurs à dépendance connus.

Au-delà de l’intérêt fondamental d’étudier un récepteur capable de transduire deux signaux antagonistes -c’est-à-dire un « positif » en présence de ligand conduisant à la différenciation, la prolifération ou la migration cellulaire et un « négatif » en l’absence de ligand conduisant au suicide cellulaire-, notre groupe a proposé que cette double fonction puisse conduire ces récepteurs à avoir des rôles clés à la fois au cours du développement embryonnaire et dans la régulation de la tumorigenèse.

Dans le contexte de leur implication dans le développement embryonnaire, nous avons émis l’hypothèse que l’activité pro-apoptotique de ces récepteurs à dépendance est cruciale pour le développement du système nerveux en tant que mécanisme  » autorisant  » le guidage, la migration ou la localisation des neurones en cas de présence du ligand. Dans cette lignée, notre groupe a découvert que le récepteur de Sonic Hedgehog (Shh) Patched est un récepteur à dépendance et que sa capacité à induire l’apoptose en l’absence de Shh est cruciale pour le développement adéquat du tube neural (Thibert et al., 2003, Science, Mille et al., 2009, Nat Cell. Biol.). Nous avons également montré que les récepteurs de la Netrin-1 DCC et UNC5H régulent la mort/survie de neurones spécifiques au cours du développement du système nerveux (Furne et al., 2008, PNAS ; Tang et al., 2008, Nat. Cell. Biol.). Cette implication n’est pas limitée au développement du système nerveux puisque notre groupe a montré l’importance de l’apoptose induite par UNC5H dans la formation des vaisseaux sanguins – angiogenèse- (Castets et al., 2009, Dev Cell. ; Guenebeaud et al., 2010, Mol Cell.) ou dans la pluripotence (Ozmadenci et al., Nat. Comm, 2015).

Dans le contexte du cancer, l’hypothèse de notre groupe est que ces récepteurs sont des suppresseurs de tumeurs qui limiteraient la progression tumorale en induisant l’apoptose des cellules tumorales en dehors des paramètres d’accessibilité/disponibilité du ligand (Mehlen et Puisieux, 2006, Nat. Rev. Cancer ; Mehlen al., 2011, Nat Rev. Cancer). Notre groupe s’intéresse particulièrement aux récepteurs qui lient la Netrin-1, c’est-à-dire DCC et les récepteurs de la famille UNC5H. Nous avons montré que DCC et les récepteurs UNC5H sont des récepteurs à dépendance dans les cellules cancéreuses : alors qu’en présence de leur ligand, la Netrin-1, ils transduisent des signaux « positifs », en l’absence de Netrin-1, ils déclenchent activement l’apoptose (Mehlen et al., 1998, Nature ; Corset et al., 2000, Nature ; Forcet et al., 2002, Nature ; Llambi et al., 2001, EMBO J. ; Llambi et al., 2005, EMBO J. ; Dominici et al., 2017, Nature ; Lengrand et al., 2023, Nature). De manière intéressante, DCC et les recepteurs UNC5H ont été initialement considérés comme des suppresseurs de tumeurs car leur expression est perdue dans de nombreux cancers (Thiebault et al., 2003, PNAS), suggérant que l’expression de ces récepteurs est une contrainte pour la progression tumorale. Ceci a été formellement prouvé en montrant que chez la souris l’invalidation de UNC5H3, l’augmentation de la régulation de la Netrin-1 dans le tube digestif ou l’inactivation spécifique de l’activité pro-apoptotique du DCC entraînaient, en accord avec le paradigme des récepteurs à dépendance, une tumorigenèse similaire (Mazelin et al., 2004, Nature ; Bernet et al., 2007, Gastroenterology ; Castets et al., 2012, Nature). Ainsi, les cancers agressifs qui se développent sont des cancers pour lesquels les voies des récepteurs à dépendance sont bloquées par des mécanismes incluant la perte génétique de ces récepteurs.

Cependant, la perte des récepteurs à dépendance n’est pas toujours un avantage sélectif utilisé par les cellules tumorales pour échapper à cette dépendance de survie à la présence du ligand. En effet, notre groupe a montré que dans la grande majorité des cancers humains, les cellules tumorales acquièrent l’expression autocrine préférentielle de la Netrin-1. Cet avantage sélectif pour la tumeur est beaucoup plus intéressant en termes de stratégie thérapeutique potentielle. En effet, le titrage du ligand par une molécule qui interfère avec l’interaction entre un récepteur à dépendance et son ligand devrait conduire à la mort des cellules tumorales. Dans cette optique, notre groupe a montré que le titrage de la Netrin-1 par un candidat médicament permet la mort des cellules tumorales in vitro et déclenche la régression des tumeurs et des métastases chez la souris (Fitamant et al., 2008, PNAS ; Delloye et al. 2009a, JNCI ; Delloye et al. 2009b, JEM). Il est intéressant de noter que ce gain de ligand n’est probablement pas limité à la Netrin-1 mais peut éventuellement être étendu à d’autres ligands d’autres récepteurs à dépendance tels que NT-3, Jagged-1, SCF ou SHH (Bouzas et al., JCI, 2010 ; Lin et al., Nat Comm, 2017 ; Wang et al., Mol Cell, 2018 ; Bissey et al., Cancer Res, 2020).Au cours des dernières années, notre groupe a essayé de développer des médicaments basés sur l’interférence de l’interaction entre les récepteurs à dépendance et leurs ligands comme stratégies anticancéreuses. Un anticorps monoclonal NP137 ciblant l’interaction entre la Netrin-1 et les récepteurs à dépendance a été développé et a démontré une activité préclinique (Grandin et al., Cancer Cell, 2016 ; Lengrand et al., Nature, 2023, EMBO MM 2016). Cet anticorps a été récemment testé dans un essai de phase I sponsorisé par le Centre Léon Bérard et montre des signes d’activité prometteurs (Cassier et al., Nature, 2023) et soutient les essais de phase Ib/II en cours (NCT04652076, NCT05546879, NCT05546853, NCT05605496). Ainsi, à partir d’un concept de biologie cellulaire de base, notre laboratoire pourrait, dans les prochaines années, fournir de nouveaux outils pour lutter contre le cancer avec un large impact sociétal.

 

 

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